La première attestation de l’appellation « les perrons » se trouve dans le parcellaire et péréquaire de la commune de 1654. Du latin « pétra » (pierre), perron, au sens primitif, signifie « grosse pierre ». Ce lieu-dit tire son nom de la présence de très nombreuses pierres déposées à l’ère tertiaire par la fonte des glaciers de l’Isère.
Le Perron, c’est aussi la plus ancienne trace d’occupation gallo-romaine découverte à Saint-Sauveur et mise à jour dans le cadre des fouilles archéologiques entreprises sur le tracé de l’autoroute A 49… nous sommes là entre le 1er et 3ème siècle après Jésus-Christ…
Le développement du Perron ne se fera toutefois qu’après le 11ème siècle, lorsque Guigues 1er, seigneur souverain de Sassenage, épousera vers 1070, la fille d’Ardenc II, seigneur d’Iseron. Les comtes de Sassenage, désormais « Seigneurs d’Iseron », vont s’installer sur la rive droite de l’Isère, sur Saint-Sauveur, face à leur château. Cette position leur permettra de contrôler le trafic sur la rivière et surtout, d’assurer une liaison vers les plateaux de Chambaran et de se rapprocher des seigneurs de Vinay.
Mais cette présence sur notre commune va générer de nombreux conflits entre les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, seigneurs de Saint-Sauveur et les Sassenage, seigneurs d’Iseron qui se disputent les droits sur les terres et sur les habitants.
En 1317, une transaction est établie entre Jean Dauphin de Viennois et Hugues de Sassenage coseigneur d’Iseron au sujet de la justice et de la seigneurie de la paroisse de Saint- Sauveur.
Entre 1377 et 1379, un procès va opposer le commandeur de Saint-Sauveur et le seigneur d’Iseron au sujet des fortifications du lieu.
En 1388 : « sentence arbitrale contenant règlement entre le seigneur d’Iseron messire Guy de Sassenage et noble frère Guérin des Jodets commandeur de Saint-Sauveur pour renonciation de la terre au lieu-dit «champlong».
En 1395, un procès est soutenu par frère Guérin des Jodets pour le droit de civerage ou paquerage à lui dû par les habitants de Saint-Sauveur et pour la juridiction que lui disputait le seigneur d’Iseron….
- Antoine II de SASSENAGE, Seigneur d’Iseron et Romanèche, puis baron de Sassenage et de Pont-en-Royans. Il va épouser par contrat de mariage du 20 juin 1583, Esther de BEAUMONT des ADRETS, fille de François de BEAUMONT (le trop célèbre baron des ADRETS) et de Claude de GUMIN, fille d’Antoine, Seigneur de Romanèche.
(Ayant abjuré la religion prétendue réformée, le baron des Adrets fera de fréquents séjours au château d’Iseron et aidera même son gendre, Antoine de Sassenage, à fortifier et refossoyer son château. Nous avons évoqué ces personnages dans notre chapitre consacré aux guerres de religions)
Ce n’est que vers la fin des guerres de religion, que Jean Cublier, bourgeois de Saint-Sauveur, va acquérir la majeure partie des biens qu’Antoine II de Sassenage, Seigneur d’Iseron, possédait aux Perrons soit l’équivalent de 48 hectares « de prés, terres, bois y compris maison, grange, four, jardin… confrontant du levant, le fleuve de l’Isère, du couchant, le chemin du port de Beauvoir à Vinay, de bise, autre tènement de Claude Perronet et du vent, terre du Seigneur de La Tour ».
Dans le parcellaire N° 5 des fonds d’Iseron, nous apprenons, par un additif du 18 février 1608, que le domaine du Perron appartient à cette date, à Maître Pierre Payn, procureur de Saint-Marcellin, marié en 1589 à Philippa Reynaud.
Lors de l’épidémie de peste qui décima notre région en 1630, Pierre Payn fut chargé, avec Gabriel Fassion, Jean Vincendon et Jean Allard, de prélever une cotisation exceptionnelle sur les plus aisés des trois ordres de Saint-Marcellin (noblesse, clergé, tiers-état), afin de fournir du pain aux reclus exilés dans les cabanes de la maladière de Saint-Sauveur.
Le domaine du Perron restera dans cette famille pendant près de deux cents ans. Joachim Payn et ses quatre sœurs propriétaires en indivis du « Château » vendront leur domaine le 9 germinal an 11 (30 mars 1806) à un Grenoblois, Pierre Giroud, banquier et receveur général des finances de l’Isère.
C’est à Pierre Giroud que l’on doit la plupart des aménagements et agrandissements du Perron. Ce sera, dès 1830, les constructions de la magnanerie, du colombier et de la chapelle puis en 1840, du « château bleu ». C’est d’ailleurs à la fin de cette année, que le domaine sera mis en vente et deviendra propriété du Vicomte Antoine Maxime Edmond Brenier de Montmorand, fils du général d’empire Antoine Brenier de Montmorand et de Jeanne Françoise Sablière de la Condamine. En réalité, se sont les parents de Julia Holmes, l’épouse du Vicomte, qui achètent la propriété du Perron. (Leur gendre étant déjà en difficulté financière). Toute la famille s’installera au château dès la fin de 1840.
« Edmond BRENIER de MONTMORAND partagea son enfance entre Saint-Marcellin et Grenoble, puis après des études de droit à Paris, il revint à Saint-Marcellin pour les vacances de 1837. Là, il fit la connaissance de Julia HOLMES, une jeune Irlandaise protestante, dont les parents, séduits par le Dauphiné, s’étaient installés à Bellevue.
Avant la fin de cette année 1837, Edmond épousait Julia et le jeune ménage s’installa d’abord à Chevrière, dans l’un des domaines reçus en héritage de son père (à Collonge et au Giroud, soit près de soixante dix hectares !), puis vint habiter « le château » à Saint-Marcellin. Une première fille, Edmée, vint au monde en 1838 à Saint-Marcellin et une deuxième, Marie en 1839. En 1840, M. et Mme HOLMES décident de s’installer en France et achètent le domaine du Perron, qu’ils mettront au nom de leur gendre. Toute la famille va dès lors s’installer à Saint-Sauveur. C’est « au château du Perron » qu’est née le 11 juillet 1843, Antoinette Isabelle, troisième fille du vicomte BRENIER de MONTMORAND et de Julia HOLMES… Edmond BRENIER de MONTMORAND vivait en « gentleman farmer » du commerce de ses terres…
Très mauvais gestionnaire, le Vicomte, pour tenir son rang, sera obligé de se séparer assez rapidement, d’une grande partie de ses biens.
Le 14 juillet 1846, le château du Perron et la majeure partie des terres composant le domaine, seront vendus à M. Barthélémy Alexandre Bouvier, un Valentinois, né en 1790, marié à Fanny Chabrier. Il n’en profitera malheureusement pas longtemps. Nous relevons dans le registre d’état civil de la commune : « Le 7 mai 1847, Monsieur Barthélémy Elesban Alexandre Bouvier, 57 ans, Chevalier de la Légion d’honneur, rentier de St. Sauveur, né à Chambaud, fils de Jean Antoine Bouvier avocat et d’Elisabeth Camille Rolland, est décédé dans son château appelé le Perron. Témoins : Laurent Pélerin 41 ans et François Sauze 47 ans, tous deux cultivateurs à St. Sauveur et voisins ».
Leur fille, épouse d’Emile Mariez, vendra le 30 août 1851, la propriété à Augustin Bon, 46 ans, marié à Emilie Martin 34 ans. Augustin Bon a été maire de Saint-Sauveur de 1856 à 1860. C’est lui qui va rattacher au domaine du Perron, le « Moulin Sage ». Cette propriété appartenait depuis plus de cent ans à une dynastie de meuniers, les Carlin. Ces moulins, dont la construction remonte au 14ème siècle, avaient été propriété des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
Le 26 janvier 1863, Augustin Bon vendra le domaine à un négociant Charles Louis Simonin, 37 ans, marié à Dame Sophie Barbe Brecht, 25 ans. Deux enfants naîtront au château : Joseph Léonce Armand, le 8 octobre 1865 et Auguste Marie Albert le 23 août 1869.
Le 8 juillet 1866, M. Charles Louis SIMONIN loue, par bail verbal, à Joseph GABERT, meunier « le moulin à farine et gruoir, qu’il possède à Saint-Sauveur, mas du Perron, avec agrès, canaux, bâtiments, aisances et terres qui y sont attachés, bail consenti moyennant le prix annuel de mille francs payable en quatre termes égaux, payable d’avance à partir du premier août 1866 ».
Le 23 août 1876, Charles Louis Simonin « décède dans sa maison d’habitation au Perron… » en laissant des enfants mineurs. Le conseil de famille décide alors de vendre, aux enchères publiques, le domaine du Perron.
Le 31 juillet 1877, Maître PICAT, notaire à Saint-Marcellin, met la propriété en vente au prix de quatre vingt mille francs. Aucun acquéreur ne s’étant fait connaître, il la remettra en vente deux ans plus tard, au prix de soixante quatre mille francs.
Le 27 octobre 1879, le département de l’Isère acquière la propriété du Perron pour la somme de 64100 francs.
Le 20 décembre 1880, un décret du Président de la république, Jules Grévy, déclare d’utilité publique la création, dans le département de l’Isère, d’un établissement comprenant un dépôt de mendicité et un asile de vieillards.
« Il ne faut pas oublier que la création du Perron vise surtout à l’extinction de l’influence de l’église en matière d’aide sociale. En République, l’assistance se doit d’être laïque au maximum. Les républicains de l’Isère, ont bien compris l’enjeu de cette assistance, grand bastion de l’église. Ils s’y attaqueront peu à peu. Dans un premier temps ils instituent des établissements de bienfaisances, en se servant tout de même de l’expérience religieuse, puis, petit à petit ils se sépareront de ces auxiliaires. »
Les travaux d’aménagement des bâtiments existants ne commenceront qu’à la fin de 1881, pour se terminer en août 1883. M. Clément Gustave Toucas, sera l’organisateur et le premier directeur de « l’asile de vieillards et dépôt de mendicité ». Il s’installera dans les appartements rénovés du château le 15 juillet 1883. Il décède le 17 mai 1885 : « dans sa maison d’habitation au château du Perron » et sera inhumé dans le cimetière de Saint-Marcellin.
Le 8 décembre 1885, un décret d’utilité public permet l’expropriation des parcelles de messieurs Fayolle, Joug, Fayard, Burlet et Bressat. Cette mesure permet de clore le domaine.
Suivant la volonté des autorités départementales, le Perron va progressivement glisser vers la laïcité. Sa création visait surtout à l’extinction de l’influence de l’église en matière d’aide sociale : « En République, l’assistance se doit d’être laïque au maximum ». Les républicains de l’Isère vont s’attaquer peu à peu à ce grand bastion de l’église et faire disparaître tout objet religieux….Il existait à l’intérieur de l’enceinte du Perron, à près de huit mètres du portail du « cléda », une croix dite « croix du ravin », qui faisait l’objet d’un important pèlerinage avant la création de l’hospice. M. Boullier voulait la faire déplacer sur le territoire communal (délibération du 9 août 1905), M. Pélerin maire de la commune, ne voulait pas : « créer des tensions regrettables avec la population ». Elle sera tout simplement supprimée !!!
Le Perron, propriété départementale, va au fil des ans, se transformer, s’agrandir, se moderniser. Mais il n’est pas de notre propos de vous raconter l’évolution de la maison de retraite et la vie de ses pensionnaires. Cette partie a fait l’objet d’une brochure parue à l’occasion d’une journée portes-ouvertes et rééditée en septembre 1993 : « Si le Perron m’était conté ». On peut également consulter l’article paru dans Actualité Dauphiné N° 29 d’avril 1981 : « Vivre et mourir à Saint-Sauveur », le mémoire de Fabienne Colin de 1995: « Le traitement de la misère sous la troisième république », et également l’étude d’André Gautier, d’avril 1999 : « Les pensionnaires de l’Asile Départemental du Perron ».
Pour mémoire, nous rappelons simplement les directeurs qui se sont succédés au Perron depuis la création de la maison de retraite en 1883 :-Clément Gustave Toucas, -Jean Léon Pelloux, -Joseph Boullier, -Joseph Bottu (mobilisé pendant la guerre de 1914/1918), -Joseph François Pelissier (de 1919 à 1933), -Joseph Rubichon (de 1933 à 1941), puis dans l’ordre : messieurs Sales, Brachet, Denisot, Conin et Gérard Tardy, Mme CAMO, Mme LAURENT et Joseph Salameh, l’actuel directeur.
Extrait d’une étude sur les maisons fortes de St.Sauveur P. et M. Hendboëg - septembre 2008